JERUSALEM: ENTRE TEXTES ONUSIENS ET MANIPULATIONS SUR LE TERRAIN
La
dernière déclaration de l'Australie sur Jérusalem vient bousculer une légalité reconnue. De très
nombreux textes et autres instruments internationaux précisent la nature
particulière du statut futur de Jérusalem configurée comme étant dans sa partie
Est, une capitale pour les palestiniens
et dans sa partie Ouest une capitale pour
les israéliens. Ceux qui sont respectueux de la légalité internationale,
normalement seule garante de la paix et de la sécurité dans notre monde, savent
que cette question, bien que clarifiée par des textes internationaux, demeure toujours
l'objet d'un espoir de voir des accords d'application sur le terrain,
concrétiser cette expression de la volonté internationale.
Au delà de la position
exprimée par l'Australie et à laquelle je ne conteste point son droit souverain d'adopter toutes les
positions qu'elle croit lui convenir, je me suis rappelé, dans un moment d'évasion
diplomatique, mon ami Gary Quinlan Représentant Permanent d'Australie aux
Nations Unies à New York. C'est un diplomate de carrière d'une grande compétence,
toujours souriant et très actif notamment au cours de l'année 2012, alors qu'il
était en plein lobbying pour l'élection de son pays au Conseil de Sécurité en
tant que membre non permanent pour les mandats 2013/2014. Au cours de cette
période je le croisais presque tous les jours dans les couloirs le l'ONU comme
dans les diverses et multiples mondanités diplomatiques. Il n'avait pour
discours que cette échéance fatidique qu'il lui
fallait remporter et pour ce
faire, obtenir le soutien du maximum sinon de tous les membres de l'ONU.
Pour avoir été moi-même auparavant
Ambassadeur Représentant Permanent adjoint lors du mandat de la Tunisie au
Conseil en 2000/2001 et connaissant
parfaitement l'importance du sujet, je ne pouvais que compatir avec lui et le
soutenir pour ce challenge de taille. J'adresse d'ailleurs tous mes
encouragements à Khaled Khiari, notre actuel
Représentant Permanent à New York qui, lui-même, se trouve aujourd'hui en plein lobbying précédant
les élections qui porteront la Tunisie au siège non permanent au sein de cette
même instance pour les années 2020-2021.
Gary Quinlan qui avait fait
habilement le tour de toutes les questions intéressant les uns et les autres,
s'ingéniait dans sans campagne de lobbying, comme chacun de nous l'aurait fait,
à répondre aux préoccupations des uns et des autres et
tenait à rassurer tous ceux qui avaient une cause inscrite à l'ordre du jour du Conseil. Pour mon cas, il était très clair concernant
les questions africaines qui nécessitent constamment une attention particulière
du Conseil et bien entendu la question du Moyen-Orient qui est au centre des
préoccupation de la Tunisie, du Monde arabe et de tous ceux pour qui, cette
injustice qui n'a que trop duré, devrait être résolue. Je l'ai encouragé à s'adresser au groupe arabe ainsi qu'au groupe africain qui
l'ont écouté avec grand intérêt. Le 19 Octobre 2012 l'Australie a été élue.
Au cours de son mandat, l'on
ne peut pas affirmer que l'Australie a été particulièrement engagée dans ses positions envers la question du
Moyen-Orient. Elle a néanmoins toujours encouragé "les parties
concernées" à continuer les négociations et ses votes sur les différentes
résolutions aussi bien au Conseil qu'à l'Assemblée Générale ne dénotaient pas un engagement bien particulier
envers cette question. Je ne prends
point ici une quelconque position à l'égard de la démarche australienne vis à vis de cette question précise de l'ordre du jour des
Nations Unies, ni ne me permets, d'adresser une quelconque critique à l'endroit de ce pays ami, mais j'ai tout simplement voulu faire un constat
comme l'aurait fait tout observateur.
Tout au long de mon
expérience diplomatique et notamment onusienne, mon sens de la tolérance s'est
suffisamment développé. Cela m'a désormais permis de "comprendre"
toutes les positions pouvant émaner d'un Etat ou d'un autre vis à vis d'une question
donnée, à condition qu'il
ne soit pas lui-même agresseur. Je sais comment les décisions se font et se
refont sur l'échiquier multilatéral, et comment les pression peuvent s'exercer
sur les uns et sur les autres et comment certaines alliances peuvent exiger d'un
Etat jusqu'au reniement de ses propres convictions.
La dernière déclaration de
l'Australie concernant Jérusalem vient, il faut le préciser après l'abstention
australienne sur la Résolution concernant "le statut de Jérusalem"[1] adoptée le 23 décembre
2016 à 128 voix pour, neuf contre dont les USA et Israël bien
entendu et sept autres Etats dont le Togo et les inconditionnels Micronésie,
Palau, Nauru et les Iles Marshall notamment. Cette déclaration sur Jérusalem
vient également après la position exprimée par l'Australie à la fin de la Conférence de la paix au Moyen- Orient tenue à Paris le 15
Janvier 2017 . Canberra a tenu à préciser, à cette époque par la voix de sa Ministre des Affaires Etrangères
Julie BISHOP, que "si l'Australie était représentée à la Conférence de Paris, cela ne signifie pas que nous
sommes d'accord avec tous les éléments de la déclaration finale dont la référence
à la Résolution 2334 du Conseil de Sécurité". Cette Résolution
qui a été adoptée en 2016, "exige de nouveau d'Israël qu'il arrête immédiatement
et complètement toutes les activités de peuplement dans les territoires
palestiniens occupés y compris Jérusalem". Cette même Résolution
a été jugée "troublante et unilatérale" par l'actuel Premier Ministre australien Malcolm
Turnbull. La Ministre Julie BISHOP a toutefois tenu à moduler un peu sa position en rappelant que "son
pays soutien fermement la mise en œuvre de deux Etats indépendants et reconnus,
et appelle à reprendre les négociations
directes pour une solution à deux Etats dès que possible". C'est un peu plus rassurant.
Il est toutefois à rappeler que lors
du vote sur la dernière Résolution de l'Assemblée Générale de l'ONU intitulée
"Pour une paix globale, juste et durable au Moyen-Orient"[2], l'Australie s'est
distinguée avec les Etats-Unis, Israël, les Iles Marshall, Nauru et le Libéria en votant contre cette
résolution qui reprend notamment les références légales de la question
palestiniennes dont l'importante Résolution
2334 du Conseil de Sécurité.
Par ailleurs et suite au
remous suscité par la toute récente déclaration
australienne, Canberra a tenu à préciser que sa déclaration sur Jérusalem repose sur quatre axes à savoir:
"* qu'elle reste engagée en faveur de la solution de deux Etats et la création
d'un Etat palestinien comme seule solution pour résoudre le conflit israélo-palestinien,
* que l'Australie ne déménagera pas son ambassade de Tel Aviv et ne sera pas
installée à Jérusalem Ouest avant que le statut final de Jérusalem
ne soit déterminé après des négociations entre palestiniens et israéliens
* l'Australie reconnait que Jérusalem Ouest est le siège du Parlement israélien
et de nombreuses institutions du gouvernement comme étant la capitale d'Israël,
* tenant compte de ses engagements envers la solutions de deux Etats, le
Gouvernement australien reconnait les aspirations du peuple palestinien à un futur Etat avec sa capitale à Jérusalem Est".
Tout cela est bien compris, sauf qu'aussi bien les
palestiniens que les israéliens ont "boudé" évidemment pour des
raisons différentes mais également évidentes la déclaration australienne.
Ainsi, pour les Palestiniens, l'Australie aurait du s'en tenir à ses positions concernant le conflit y compris le statut final de Jérusalem tel
que spécifié dans les axes "un" et "quatre" cités plus haut
et ne point reconnaître, à ce stade, Jérusalem Ouest comme capitale d'Israël puisque le statut final
de cette ville n'est pas encore défini. Quant aux israéliens, la démarche ne
pourrait être bien entendu que différente.
Le Gouvernement israélien reproche quant à lui à l'Australie de s'être engouffrée dans ces explications tout autant subtiles
qu'inutiles sur "qui est à l'Ouest" et "qui sera à l'Est" de Jérusalem tout en laissant entendre et
dire en d'autres termes, qu'Israël ne compte pas, en fait, céder le moindre
pouce de cette ville occupée depuis 1967.
Par cette déclaration inattendue, l'Australie n'a ainsi contenté
ni les palestiniens ni les israéliens. Bien plus, elle a exacerbé les passions constamment
éveillées des deux parties et la curiosité de nombreux observateurs avides de
savoir pourquoi Canberra a cru bon remuer cette question, maintenant et de
cette manière. Veut-elle donner une recette à ceux qui hésitent encore à franchir le pas vers Jérusalem mais qui ne savent pas
comment s'y prendre à l'égard de cette question et qui sont sous des pressions multiformes? ou
a-t-elle voulu tout simplement par cette formule sournoise, faire pression sur
les deux antagonistes pour qu'ils se remettent autour de la table des négociations?
En tout état de cause et dans tous les cas de figure, il
revient aux palestiniens de se déployer sans plus attendre auprès de nombreux
pays afin de leur expliquer la situation. Ils doivent pour ce faire, changer de
langage et de discours et se départir de leur envolées passionnées sans omettre
de donner les signes d'un réel désir de trouver une cohésion au sein de leur
front intérieur. Il n'est un secret pour personne que leurs querelles internes
font qu'ils sont perçus comme de mauvais interlocuteurs sinon de
"non interlocuteurs".
Depuis que l'Australie a commencé à adopter, dès 2016 une position réservée au sujet des
thèses palestiniennes et même des Résolutions de l'ONU consignant leurs droits
inaliénables, je n'ai personnellement pas entendu parler de visites qu'une
délégation palestinienne de haut rang aurait effectuées en Australie, ni
d'ailleurs dans aucune autre capitale de ces pays qui votent contre ou qui
s'abstiennent sur les Résolutions qui faisaient traditionnellement l'unanimité à l'Assemblée Générale notamment. Il suffit de consulter
les différents tableaux de votes sur les Résolutions traitant de la question du
Moyen-Orient en général au cours de cette Session et des session précédentes
pour constater une inquiétante érosion du soutien international à l'égard de nos questions arabes. Est-ce que la Ligue Arabe
s'est posée des questions sur cet état de fait? Est-ce qu'elle a entrepris une
quelconque stratégie de redéploiement auprès de certaines capitales qui
commencent à basculer ailleurs? Les
querelles inter-arabes et les autres marathons en direction de la puissance occupante
ont-ils renversé nos priorités et relégués nos droits légitimes vers d'autres
oubliettes?
Merci, tout de même à l'Australie, ce grand pays ami pour avoir, au moins, sonné cette alarme. L'Australie
est connue pour son engagement en faveur de la paix internationale. Engagement
amplement traité par, Gareth Evans ancien Ministre australien des Affaires
Etrangères dans son livre
"Cooperating for Peace" qu'il m'avait dédicacé en 1995 en
marge de la 49ème session de l'Assemblée Générale de l'ONU. J'étais à cette époque Conseiller auprès de notre Mission à New York. Gareth Evans participait aux travaux de cette
même Session.
Quant à mon ami et ancien collègue Gary
Quinlan, je sais qu'il prendra mes mots tels que je les ai pensés. Tous les
deux, nous exerçons le même métier,
celui de favoriser la résolution des conflits, de rapprocher les pays, de construire des ponts entre les peuples.
Notre rôle, nous diplomates est de faire les pare-chocs pour atténuer les
crises ou encore les "buffer zones" pour encourager au dialogue quels
que soient les désaccords. Nous faisons même parfois office de pompiers en
étant les premiers sur le terrain pour éteindre et permettre de secourir. Nous
devrons aussi être toujours en mesure de dire "NON" quand il le
faut, surtout quand la balle est dans notre propre camp.
Othman JERANDI
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