"Et si subitement, tous les arabes disparaissaient"[i]
par Othman JERANDI
Au fil de mes lectures quotidiennes, un titre-question a
surgi par pur hasard sur un site d'information que je parcourais en fin de
soirée, alors que j'étais déjà exténué par plusieurs lectures et différents
"plateaux-TV-casse-têtes" : "Et si , subitement, tous les arabes disparaissaient?". Un autre écrit, comme tant d'autres sur " la
mère des injustices" en Palestine me suis-je dis. J'ai parcouru l'article
en lecture plutôt anarchique, même pas en diagonale. C'était juste pour capter
les mots clefs et sténographier sa substance avant de clore ma journée. Il ne fallait
que quelques premières lignes pour ajuster ma stature, reprendre la lecture dès
le début après avoir relevé le nom de l'auteur. Akram Atallah. Journaliste et écrivain
palestinien très engagé à l'égard de sa cause, qui est également la nôtre et
très impliqué dans les affaires arabes qui devraient, normalement, être également
les nôtres.
Un article poignant qui
invite à une réflexion profonde sur ce qui se passe autour de nous, entre nous
et à l'intérieur de notre aire géopolitique. Nous avons tellement besoin d'un
subit arrêt sur image pour réaliser où nous en sommes par rapport aux autres et
par rapport au minimum requis pour répondre aux exigences minimales de notre
ère, afin de pouvoir cohabiter avec le reste du monde après nous être conciliés
avec et entre nous-mêmes.
Quelques mots et phrases
clefs de cet article que je vous invite à lire absolument: "Et si tout
les arabes disparaissaient tout d'un coup? Et si le monde se réveillait
subitement pour découvrir que nous avons disparus? Il est certain qu'avec notre
disparition il n'y aura aucune crainte que quelque chose manquerait. L'internet
ne serait pas coupé tout autant que les satellites ne s'arrêteraient certainement
pas d'émettre...Le bourses continueraient à gérer les finances mondiales. Aucun
médicament ne manquerait...mêmes pas les armes avec lesquelles nous nous entre-tuons..." A la limite, dit-il, une dame analphabète se
demanderait si ce sont vraiment ceux-là qui s’entre-tuent à longueurs de
journées qui ont disparu?, tellement notre image à l'extérieur devient
répugnante. "Il suffit tout simplement de suivre les traces de sang qui
vont de la Libye à l'Irak en passant par l'Egypte, la Syrie et le Yémen et
entre ces capitales pour constater que
la moitié de cette "Umma" se presse le ventre tellement elle est
affamée alors que l'autre moitié se caresse l'estomac tellement elle s'est
gavée à satiété. Dans les deux cas nous représentons un fardeau pour l'Humanité".
Douloureuse réalité!
Et l'auteur de continuer:
Ils produisent tout, alors que nous consommons tout. On ne fait que parler et
travestir nos paroles en calomnies et en incitations pour en arriver au constat
actuel que tout arabe a nécessairement un problème avec son semblable. Nous
sommes les peuples qui ont le plus de
victoires à célébrer alors qu'en fait nos défaites défient les chroniques. Nous
détenons l'art de travestir nos échecs en réussites par les effets de métaphores
poétiques destinées à tromper les masses... Nous sommes ceux qui parlent le
plus de démocratie alors que nous sommes les seuls à combattre tout élan démocratique
dans le monde arabe. Les seuls au monde à chanter à gros décibels l'unité arabe
alors que nous sommes la nation la plus divisée et les seuls à vouloir
disloquer des pays "frères" ...
Apres cette lecture
cauchemardesque, plus aucune envie ni possibilité de dormir, tellement le
constat fait par Akram Atallah est kafkaïen, humiliant. J'ai alors essayé
d'occuper mon esprit à échafauder une autre démarche qui consiste à tenter de
voir ce que le monde pourrait perdre "Si tous les arabes disparaissaient subitement".
En vrac. Les Banques et
autres cartels financiers n'auront plus de quoi remplir leur coffres et ne
pourront plus spéculer et s'empiffrer de richesses qui ne leurs appartiennent
pas. Il n'y aura plus de terrains propices
où fomenter des guerres fratricides, exacerber des tensions tribales et
sectaires pour s'y incruster et y déverser des machines de guerre et des
groupuscules terroristes "clés en main". Plus de protection à
monnayer ni d'ennemis imaginaires à agiter comme épouvantails. Il n'y aura plus de Ligue Arabe pour
entériner des actions militaires étrangères contre des pays membres ou créer
des "coalitions arabes" contre des pays arabes. Il n'y aura
plus de dirigeants arabes disposés à tout brader pour rester au pouvoir. Des
milliers de produits inutiles ne trouveraient plus preneurs. Les gigantesques
usines d'armes, d'aéronefs commerciaux, de voitures et autres produits de
consommations perdraient des débouchés juteux et les intermédiaires des
commissions faramineuses et insolentes. Les taux de chômage s'envoleraient. Les
gigantesques entreprises de bâtiments ne trouveraient plus commandes de grattes
ciel futuristes pour une population qui ne sait pas quoi en faire et des
Méga-Mall où tout peut être déversé sans souci aucun des habitudes des
autochtones. Les médias n'auront plus de scandales à relater ni de victimes à extorquer. Et j'en passe.
A la fin de son article écrit
en 2017, Akram Atallah évoque le désenchantement de la jeunesse arabe qui ne s'imaginait
pas se trouver un jour devant des horizons aussi fermés ne leur permettant même
pas le rêve. Il les a décrits tantôt allongeant la queue sans fin d'un chômage sans espoirs d'être résorbé,
tantôt pris par la tourmente de l'émigration, une autre chimère incertaine pour
de très nombreux candidats.
L'auteur a cependant omis de
parler de cette même jeunesse qui s'est révoltée en 2011 en Tunisie puis en
Egypte, en Libye et en Syrie dans une tentative d'ébranler tant bien que mal un
pouvoir bien ancré et rodé aux pratiques non démocratiques de toutes sortes et
tout ce qui vient avec comme corruption, clientélisme, déséquilibres
économiques et disparités régionales, le tout, dans l'asservissement de la
souveraineté nationale en échange de la perduration au pouvoir... Cette
première secousse populaire a réussi en Tunisie qui a organisé des élections démocratiques
et adopté une nouvelle Constitution pour une deuxième République. L'élan a été
brisé ailleurs, mais tout porte à croire que des secousses répétitives sont à
prévoir notamment au gré des mouvements
contestataires qui se sont déclenchés et relayés un peu partout à travers le
monde. Ceux-ci revendiquent un "nouvel ordre populaire", une sorte
"légitimité de la rue" qui se veut une substitution aux différents
"modèles" qui se sont tous avérés stériles et ne répondant pas
aux exigences de cette jeunesse. Une
jeunesse qui parle un autre langage, qui manipule d'autres outils de
communication instantanés et trans frontières, capables de mobiliser en une
fraction de seconde des milliers de jeunes sur une place convenue avec des
slogans prêts à l'emploi.[ii]
Dépassant les rues arabes de
plusieurs longueurs, les jeunes tunisiens, constatant les promesses non tenues
d'un pouvoir se croyant capable de dérouter leurs espoirs, ils ont utilisé
massivement l'outil démocratique désormais entre leurs mains pour remplir les
urnes d'un NON magistral à l'adresse du système en votant pour Le
Président Kais Saied. Si le premier printemps tunisien était destiné à déboulonner un régime étanche aux changements,
à écrire une nouvelle Constitution et à consacrer dans la pratique, les règles fondamentales
de la gouvernance démocratique, ce nouveau "printemps des urnes"
a tenu à continuer la dialectique
démocratique en remettant les pendules à l'heure, à rappeler à l'ordre, les acteurs politiques toutes obédiences
confondues. Les objectifs de la Révolution
sont de nouveau à l'affiche. Le sursaut de civisme qui a accompagné les résultats
des élections était un autre message que les jeunes ont tenu à lancer pour dire
qu'ils sont prêts à participer à la construction d'une nouvelle société
conforme à leurs espoirs et aux exigences du Moment. A les voir à l'œuvre, cela
est sûrement possible.
Au titre " Et si
subitement tous les arabes disparaissaient" à travers
lequel le grand journaliste-écrivain Akram Atallah a voulu tirer la sonnette
d'alarme à l'adresse d'un monde arabe dans la tourmente, je dirai que "le
printemps tunisien" et son nouveau chapitre "le
printemps des urnes" donneront sûrement la direction à prendre
pour redresser les voiles.
[i] ce titre a été repris en traduction libre
de l'article de Akram Atallah, journaliste et écrivain palestinien
[ii] Voir l'article de l'Ambassadeur Ali Hachani
"les mouvements populaires en cours dans le monde: une révolution des
"exclus" ou une "machination" à l'échelle internationale
dans "le Diplomate.tn"
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