Le Yémen: le Massacre à huis clos d'une enfance oubliée

          
      "A l'heure actuelle, le Yémen est l'un des pires endroits au monde" disait déjà en 2017 Gert Cappelaere, Directeur de l'UNICEF pour l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient.
          
      Aujourd'hui la situation est pire et presque tous les enfants et les personnes vulnérables au Yémen sont sous la menace de la mort par manque de médicaments, de vaccins et de simple nourriture s'ils n'ont pas été déjà déchiquetés par une machine de guerre redoutable et inhumaine.
          
      C'est en fait un crime de guerre et un crime contre l'humanité qui se passe à huis clos et ce, en dépit de certaines voix, peu nombreuses faut-il le souligner, qui se sont élevées contre cette hécatombe à ciel ouvert. Les Organisations Internationales ainsi que des Organisations humanitaires et des droits de l'Homme sont seules à sonner à chaque fois une alarme qui ne semble pas déranger ceux là qui se sont accommodés à l'odeur de la mort et de la désolation et qui ne semblent pas être dérangés outre-mesure par l'effet de leurs forfaits.
          
    On compte actuellement, selon les chiffres de l'UNICEF pas mois de onze millions d'enfants ayant besoin d'une assistance humanitaire d'urgence, ce qui représente presque tous les enfants du Yémen qui sont sous une malnutrition aiguë quasi-générale et permanente. Mille enfants meurent par semaine et un enfant meurt toutes les dix minutes de maladies et d'épidémies qui peuvent être évitées à l'instar de la diarrhée, la malnutrition et les infections respiratoires. Plus de deux milles écoles ne servent plus car elles ont été ou détruites ou transformées en centres d'hébergements pour plus de deux millions de familles déplacées par l'effet de cette guerre folle et de cette tuerie qui fait honte. Des hôpitaux et autres centres médicaux déjà peu lotis même avant cette guerre, ont été ciblés comme l'ont été des rassemblements de personnes civiles célébrant des mariages ou encore accompagnant des enterrements. Des enquêtes sont ouvertes se contente-t-on de nous dire après chaque massacre. Des enquêtes qui n'ont jamais rien divulgué sous le silence  complice des donneurs d'ordres de cette guerre répugnante et des fournisseurs de machines de la mort à des armées qui n'ont pas été informées que les guerres aussi avaient leurs règles d'engagement et leurs codes d'honneur et d'éthique.  
          
      Le Yémen, ce pays oublié, sous un blocus économique généralisé depuis plus de trois ans, ne fait pas l'objet d'une couverture médiatique à la mesure de la gravité du drame qui s'y passe. Il est pourtant repértorié comme étant "la plus grave crise humanitaire au monde" par le Comité international de la Croix rouge et qualifié de "guerre oubliée" par Amnesty International. Tous les belligérants à savoir, les forces du Président Hadi et la coalition qui le soutient dirigée par l'Arabie Saoudite ainsi que les forces rebelles formées par les Houthis et les milices de l'ex-Présent Saleh ainsi que par des groupuscules appartenant à Al Qaeda et Daech, sont tous responsables à égalité de la folle allure de ce drame en violation du Droit International Humanitaire et contraire à l'Article Premier commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 qui stipule que tous les Etats membres de cette Convention ont l'obligation, non seulement de la respecter mais de faire respecter les règles du Droit International Humanitaire.
          
      Dans le rapport que les experts nommés par le Conseil de Sécurité des Nations Unies ont rendu public en 2016, il était établi  que "des violations des règles du droit humanitaire  ont été commises par toutes les parties belligérantes au Yémen qui ont toutes transgressé les principes de discrimination, de proportionnalité et de précaution, notamment en utilisant des armes explosives, de toutes puissances contre des zones résidentielles et de biens de caractère civil, ou à proximité de telles zones ou de tels biens. Les attaques ayant été généralisées ou systématiques, remplissent potentiellement quant à elles, les critères juridiques constitutifs de crimes contre l'humanité", car ne visant pas des objectifs militaires reconnus en tant que tels.
          
      Au-delà de la participation directe à cette guerre, et en vertu de l'article premier commun aux quatre Conventions de Genève de 1949, tous les Etats parties aux dites Conventions ont l'obligation non seulement de respecter mais aussi de faire respecter les règles du Droit International Humanitaire. Cette disposition spécifie que les Etats, tous les Etats, ne doivent ni armer ni entrainer ou aider de quelque manière que ce soit l'une des parties à un conflit. Cette mention est par ailleurs corroborée par le paragraphe trois de l'Article six du Traité sur le commerce des armes de 2014 qui stipule entre autres "qu'aucun Etat ne doit autoriser le transfert d'armes classiques si ces armes pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l'humanité ou des violations graves des Conventions de Genève de 1949 telles que des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels..." à l'instar des écoles, des hôpitaux, des marchés etc...
          
      Ainsi, le Gouvernement du Yémen, les Etats qu'il aurait invités à le "secourir", les rebelles formées des forces de l'ex-Président Saleh, les groupuscules d'al Qaeda et de Daech qui se sont fait inviter à infester et infecter  ce nouveau ventre mou du monde arabe ainsi que les pays ayant mis leurs forces au service de la coalition et les pays fournisseurs d'armes à toutes les parties à ce conflit, sont redevables au même titre devant le droit international pour les différents crimes commis au Yémen, ce pays qui se trouve, au-delà de tous les alibis,  convoité  par les uns et par les autres, pour sa position stratégique contrôlant l'entrée du Golfe d'Aden à l'embouchure de la Mer Rouge.
          
      La protection des enfants dans les conflits armés est consacrée par le droit international humanitaire qui met aussi bien les Etats que les groupes armés non gouvernementaux devant leurs responsabilités à l'égard de cette catégorie civile vulnérable. La Convention relative aux droits de l'enfant et son Protocole facultatif de 2000 qui concerne spécifiquement l'implication d'enfants dans les conflits armés prend en compte l'obligation de protéger les enfants contre les effets des conflits armés. La Convention de Genève de 1949, ses deux Protocoles additionnels de 1977 et le troisième protocole additionnel de 2005 prévoient quant à eux une protection générale pour toutes les personnes touchées par un conflit armé et renferment également des dispositions spécifiques aux enfants.
          
      Depuis 1999 le Conseil de Sécurité de l'ONU s'est préoccupé de la situation des enfants en temps de guerre et a réaffirmé  dans sa Résolution 1314 (2000)  que "les pratiques consistant à prendre délibérément pour cible des population civiles ou autres personnes protégées, y compris les enfants et à commettre des violations systématiques, flagrantes et généralisées du droit international humanitaire et du droit relatif aux droits de l'homme, y compris aux droits de l'enfant dans les situations de conflits armés peuvent constituer une menace contre la paix et la sécurité internationales".
          
       La résolution 1379 (2001) a fait un pas en avant en incluant la protection des enfants dans les conflits armés dans le mandat des opérations de maintien de la paix et a préconisé des mesures qui vont de la prévention à la sanction effective en cas de violations des droits des enfants. Ces deux résolutions ont été adoptées lorsque la Tunisie était membre non permanent du Conseil de Sécurité pendant les années 2000 et 2001.
          
       Le 26 juillet 2000, j'ai moi-même prononcé un discours au Conseil de Sécurité lors d'un débat public traitant du "Rapport du Secrétaire Général sur l'application 1261 (1999), relative aux enfants et aux conflits armés" dans lequel j'ai relevé "qu'en dépit les progrès indéniables accomplis tant au niveau juridique qu'institutionnel, la situation sur le terrain demeure préoccupante au vu du bilan alarmant des enfants victimes des atrocité perpétrées en temps de guerres et de conflits armés". J'ai indiqué que devant cette situation,  il est une obligation pour toutes les parties aux conflits de ne pas prendre pour cible les civils, dont les enfants et de ne pas entraver ou bloquer l'accès et l'acheminement de l'aide et de l'assistance humanitaire à ces victimes. J'ai préconisé pour ce faire, la suspension de toute assistance aux parties à un conflit armé auteurs de violations des droits fondamentaux des enfants, la condamnation publique de ces agissements et l'imposition de sanctions contre ceux qui ne se plient pas aux règles du droit international humanitaire[i].  
          
       Au cours d'une autre séance du Conseil de Sécurité tenue le 20 Novembre 2001 sur le "rapport du Secrétaire Général sur les enfants et les conflits armés", j'ai spécifié qu'il appartient au Conseil de Sécurité de donner un signal fort et clair à toutes les parties à un conflit de respecter leurs engagements en ce qui concerne particulièrement la protections des enfants[ii].
          
      Même quand il s'agissait de mettre un pays sous sanctions, j'ai tenu à indiquer dans une allocution devant le Conseil de Sécurité au cours d'un débat sur  les régimes des sanctions imposés par le Conseil de Sécurité que les sanctions doivent être ciblées afin de ne pas impacter la vie déjà difficile des populations civiles et notamment des enfants et délimitées dans le temps afin de ne pas perdurer et aller au-delà des objectifs recherchés derrière leur imposition[iii].
          
   D'autres résolutions du Conseil sont venues affirmer l'importance de la protection des enfants en temps de guerre et au cours des conflits internes ou inter-étatiques et notamment les Résolutions 1460 (2003), 1539 (2004) et 1612 (2005) dans lesquelles le Conseil durcit le ton "passant de la condamnation et l'exhortation à l'injonction". La Résolution 1612 (2005) institue quant à elle, officiellement des mécanismes de suivi nécessaires pour que le Conseil de Sécurité puisse garantir les droits de l'enfant.
          
   L'arsenal juridique ne cesse certes de se renforcer afin de répondre aux différentes situations dramatiques dans lesquelles les enfants se trouvent pris  malgré eux,  en tenaille entre des belligérants, mais il n'en demeure pas moins que les mesures coercitives prises jusque là, n'ont pas empêché que ces enfants demeurent une cible oubliée. De la Palestine à l'Irak, de la Syrie au Myanmar ou au Yémen et ailleurs, la machine de guerre à tendance à trouver les moyens de contourner le droit international humanitaire. Ces tueurs d'enfants  n'auraient évidemment jamais pu se soustraire à la volonté du Droit International Humanitaire sans la complicité des fournisseurs d'armes qui se trouvent eux-mêmes contrevenant à leurs obligations internationales en faisant semblant de ne pas voir et en obstruant la voie vers la qualification de certains actes commis, comme étant des génocides, des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité.


Othman JERANDI 



[i] S.PV/4176
[ii] S.PV/4422
[iii] S.PV/4393

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog